J'étais debout, de ça je me souviens – debout sous le soleil, droit et fort, comme j'étais supposé l'être – debout, seul, invaincu encore, j'attendais qu'on relève mon défi, qu'un fou ose se mesurer à moi, il n'aurait eu aucune chance – debout et soudainement couché, assommé, vaincu, totalement sonné – comment, moi, couché ? Vous êtes sûrs ? Ce n'est pas plutôt l'autre qui est à terre ? – vaincu, une pierre logée dans mon front, enfoncée, offensante, elle se moquait de moi, cette pierre, elle se riait de ma force, se jouait de mon poids, elle me narguait – une pierre dans mon front et un éclat de soleil qui accroche mon regard, se loge dans mon ½il, m'éblouit, rieur, il me dit que la fin est proche, tu es à terre, tu ne peux rien, tu n'es rien – et l'éclat de soleil devient argent, devient lame, devient incisif, tranchant, c'est soudain la mort en personne qui s'approche – j'étais debout et soudain presque mort, sans savoir ce qu'il s'était passé, sans comprendre – et le temps de comprendre, on ne me le laisse pas, on me l'enlève, il s'enfuit, sous mes yeux, rouge, mon temps est rouge, il pulsait en moi et s'en va pulser ailleurs, il disparaît, s'écoule – c'est ma vie qui s'écoule, je le sais, je le vois – comment puis-je le voir ? – mes yeux sont baissés, sur mon corps, sur mon cou d'où mon sang, mon temps, ma vie, jaillit, et ma tête s'élève, plus légère qu'elle ne l'a jamais été – j'étais debout, puis couché, maintenant je suis les deux, le corps étendu, la tête élevée – et je comprends enfin, il m'a tranché la tête, à moi, ma tête, tranchée – cela ne devait pas se passer comme ça, j'étais le bourreau pourtant, ma tête devait rester là, où est sa place après tout, elle devait rester haute, s'élever mais pas dans la main d'un autre, s'élever en même temps que mon corps, qui se relève après avoir abattu ma lame – c'est moi le bourreau ! Je veux crier, m'affirmer, mais ma bouche s'ouvre sur un son qui ne sort pas, ne sortira jamais, plus jamais – car maintenant je suis mort, c'était moi mais ça ne l'est plus, c'est un autre désormais, celui qui a pris ma vie, mon temps, mon sang – comme je l'ai fait tant de fois auparavant – j'étais couché à même le sol, attendant que la lame caresse ma gorge, je m'en souviens – j'étais celui qui donnait la mort – l'herbe chatouillait mon visage, glissant sur ma peau, enlaçant mon cou – tant d'ennemis qui disparaissaient sous mes coups, j'étais debout, de ça je me souviens, et ils étaient à terre, face à moi, sans pierre mais à terre – et j'entendais les pas, qui se rapprochaient, un, deux, et j'étais incapable de me relever, cette pierre moqueuse me clouant au sol – et ma lame s'élevait, légère, et elle s'abattait, si lourde sur leurs cous – mes muscles tremblaient et se relâchaient, je ne comprenais pas, j'aurais dû comprendre, mon corps avait compris, lui, et il avait peur, et il avait raison d'avoir peur – et leurs têtes roulaient à mes pieds, mais je ne me baissais jamais pour les relever, je ne me serais pas abaissé à ça, pas moi, non, j'étais leur bourreau après tout – n'importe qui aurait peur face à la mort, mais pas moi, mon corps tremblait, mais pas moi, je n'avais pas peur, je ne savais pas alors, que la mort était là – je laissais toujours leurs têtes à terre, je les bousculais négligemment d'un coup de pied, je ne voulais pas m'embarrasser d'eux, ils n'existaient plus – mais moi j'existe encore, même mort je suis là, et il se moque, il m'exhibe, moi, qui suis encore quand les autres n'étaient déjà plus rien – et alors que ma tête tourne lentement sur elle-même, et voit le monde, le rouge qui jaillit et la vie qui s'écoule, je vois le temps, figé, suspendu – le temps passait vite, un éclair, une lame qui s'abat furtivement, violemment, tout était fini, le temps ne s'arrêtait pas comme ça, une mort et j'enchaînais, un combat, une victoire, et je m'en allais – mais là le temps ne bouge plus, il attend, silencieux, frémissant – il attend quoi ? Je suis mort, je ne peux rien lui donner, au temps, rien lui offrir d'autre que ma vie qui se répand sur le sol, dans l'herbe câline – et cette suspension me surprend, j'étais debout, vainqueur et puis couché, une pierre logée dans mon front, ma fin était proche et maintenant elle est là, mais elle ne veut pas s'en aller, elle s'entête, et moi je suis là – et ma tête suspendue, par la main, par ce temps immobile, je commence à avoir peur – mon échec ne prendra-t-il jamais fin ? – mon corps est immobile, il se raidit, les spasmes sont finis, déjà, tout est achevé, calme, et pourtant je tremble, enfin, j'ai peur, je comprends – je suis mort, et ça ne m'inquiète pas, la mort je l'ai affrontée tant de fois, nous avons joué ensemble, c'est une amie – ce qui m'effraie c'est ce temps, infini, et je le contemple, une larme, unique, invisible, impalpable, coule sur ma joue, sur mon cou sanglant, s'en va rejoindre ce goutte-à-goutte éc½urant, qui rythme ma défaite – la mort ne me faisait pas peur, et je n'avais jamais tremblé – mais maintenant j'ai peur, maintenant je tremble, face au silence.